L’erreur comme forme de vie

Hamid Reza Shairi

Maître de conférences à l’Université Tarbiat Modares, Téhéran

https://doi.org/10.25965/as.2669

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : conscience, événement, forme de vie, tensivité

Auteurs cités : René Descartes, Jacques FONTANILLE, Algirdas J. GREIMAS, Eric LANDOWSKI, Paul RICOEUR, Baruch SPINOZA, Eero TARASTI, Claude ZILBERBERG

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Texte intégral

Introduction

L’erreur participe à la construction des formes de vie dans l’exacte mesure où elle peut, soit créer des discontinuités et intervenir dans le cours des choses, soit  élargir le champ de la présence du sujet tout en l’incitant à adopter de nouvelle visées. De ce point de vue, on peut supposer que l’erreur fonctionne de deux manière distinctes : d’une part, elle est à l’origine d’une rupture qui introduit le sujet dans le domaine de l’événement et qui le lie à la valence d’intensité ; nous sommes ici devant un sujet passif qui subit l’action du monde ; et de l’autre, elle est responsable d’une ouverture qui offre au sujet de divers possibles tout en l’introduisant dans une valence d’extensité ; nous nous trouvons ici en présence d’un sujet apte à entrer en action et à prendre en charge d’une façon dynamique et consciente la traversée existentielle de son parcours du sens. Le sujet de l’erreur pourrait donc être confronté à deux ordres tensifs qui sont créateurs des formes de vie : le survenir et le parvenir. En quoi cette dimension tensive de l’erreur peut-elle aboutir à une forme de vie ? Et de quelle façon l’erreur peut-elle se transformer elle-même en une forme de vie ? Cet essai a pour objectif de montrer que l’erreur s’approprie non seulement une signification tensive pouvant déboucher sur une forme de vie, mais qu’elle jouit en outre des strates signifiantes qui la transforment en une forme de vie.

La visée perfective de l’erreur à partir du point de vue de Spinoza

Erreur vient du latin « error », action d’errer ça et là. Ce qui peut être défini comme une course à l’aventure. Le sujet de l’erreur serait de ce point de vue un sujet dynamique et en mouvement. Mais la question essentielle porte sur le fait de savoir en quoi ce dynamisme va aboutir à la construction d’une forme de vie. Comme nous le savons, le mot errer nous met en présence d’un certain écart puisqu’il intègre selon le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert le sens de « s’éloigner de la vérité ». Ainsi l’erreur est interprétable comme une action qui nous éloigne du monde de la vérité tout en nous conduisant vers un autre monde confus et sans objets précis. Si l’erreur vise des objets imprécis, c’est qu’elle a une capacité de « s’étendre aux choses ». Ce qui correspond sur le plan tensif au trait de l’extensité. Autrement dit, l’erreur serait une manière d’élargir son espace afin d’y laisser entrer plus de choses. Cette extension nous rallie à ce que Zilberberg considère comme des « valeurs d’univers ». Du point de vue aspectuel, cette ouverture du champ actionnel est due au fait que le sujet de l’erreur se trouve dans une situation imperfective. Nous sommes ici confrontés à la question de la volonté du sujet de l’erreur. Selon Spinoza la volonté va plus loin que l’entendement et c’est la raison pour laquelle elle ne peut pas s’accorder avec lui.

Note de bas de page 1 :

 Baruch Spinoza, L’éthique, traduit par Saisset en 1849, http://www.spinozaetnous.org, numérisé le 4 juin 2002 par David Bosman, p. 76.

« Et ce qui fait penser que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, c’est qu’on est assuré, dit-on, par l’observation de soi-même, que l’homme n’a pas besoin pour porter des jugements sur une infinité de choses qu’il ne perçoit pas, d’une puissance de juger, c’est-à-dire d’affirmer ou de nier, plus grande que celle qu’il possède actuellement, au lieu qu’il lui faudrait une plus grande puissance de percevoir. La volonté est donc distinguée de l’entendement, parce que celui-ci est fini, celle-là, au contraire infinie. »1

Note de bas de page 2 :

 J. Fontanille, Sémiotique du discours, Limoges, Pulim, 1999, p. 37

Note de bas de page 3 :

 A.J. Greimas, De l’imperfection. Périgueux, Pierre Fanlac, 1987, p. 16.

A croire Spinoza le sujet de l’erreur est un sujet volitif qui entre dans l’erreur afin de réparer ce qu’il perçoit comme imperfectif. De cette façon, ce sujet est celui qui vise le perfectif. L’erreur serait ainsi la caractéristique des sujets qui ne sont jamais convaincus par ce que la vie leur offre comme perfectif et cherchent toujours plus loin. Elle serait en fait une manière de faire l’usage de sa volonté qui signifie par son caractère « infini ». Ainsi, pour se retirer de l’imperfectif (tout ce qui a un caractère « fini ») dans lequel il vit, le sujet de l’erreur se crée des horizons d’attente. Et cette visée perfective (vouloir accéder à l’« infini ») le transforme en un sujet tensif. Selon Fontanille,  « … cette intensité qui caractérise notre relation avec le monde, cette tension en direction du monde, est l’affaire de la visée intentionnelle »2.  Mais le problème vient du fait qu’à aucun moment le sujet de l’erreur ne pourra connaître la saisie puisque toute visée n’est qu’un début pour une autre visée, elle-même imperfective. Or, l’erreur est une tension constante (par « volition ») vers des directions qui se renouvellent sans cesse. C’est pourquoi l’on ne peut pas supposer une fin pour elle, d’autant plus que les perceptions humaines et la relation du sujet au monde et aux choses sont productives et s’avèrent à l’origine de ce que Greimas considérait comme « une véritable fracture entre la dimension de la quotidienneté et le moment d’innocence, le passage vers ce nouvel état de chose se manifestant comme l’emprise d’une force venant de l’extérieur »3.

Note de bas de page 4 :

 Pour justifier son idée, Spinoza avance un exemple : « celui qui se représente un cheval ailé ne prétend pas pour cela qu’un cheval ailé existe réellement ; en d’autres termes, il ne se trompe que si, au moment qu’il se représente un cheval ailé, il lui attribue la réalité », L’éthique, idem, p.76.

Note de bas de page 5 :

 Spinoza cité par Chantal Jaquet, « L’erreur dans les principes de la philosophie de Descartes de Spinoza, I, XV., Analytica, Rio de Janeiri, v.13, n°2, 2009, p. 17.

Note de bas de page 6 :

 Cl. Zilberberg, Des formes de vie aux valeurs, Paris, PUF, 2011, p. 51.

Mais, selon Spinoza l’erreur et le fait de se tromper sont différents, puisque la personne ne se trompe « en tant qu’elle perçoit un certain objet, mais en tant seulement qu’elle y donne son assentiment ou l’y refuse »4. On peut tirer trois conséquences de cette remarque de Spinoza. En premier lieu, le processus de la perception ne peut que doter le sujet de l’erreur de la compétence ; ce qui n’est pas considéré comme une menace pour lui. Et en deuxième lieu, il n’y a que l’accord avec l’objet perçu ou son refus qui peut transformer le sujet de l’erreur en un sujet de la performance. Ceci montre bien que la question de l’erreur n’est pas sans rapport avec le parcours génératif du sens étant donné qu’avec le passage de la compétence à la performance la notion de la « conversion » de Greimas fait surface. Et en dernier lieu, le refus ou l’assentiment sont deux actes opposés qui font sortir le sujet de l’erreur de l’état passif et qui l’inscrivent dans l’action. Spinoza lui-même soutient l’idée qu’il vaut mieux donner aux « choses même confuses son assentiment »5 puisque ceci pousse le sujet vers « l’action » ; ce qui peut aboutir à la « perfection ». Ainsi, le passage à la performance devient pour le sujet de l’erreur le moyen de dépasser ses perceptions qui ne le rallient qu’à des « représentations incomplètes » et mutilées du monde et des choses. L’action provenue de l’erreur engage le sujet dans un nouveau parcours qui relance le sens de la vie dans l’exacte mesure où chaque erreur est une possibilité d’accéder à une nouvelle visée. L’erreur comprend donc deux dimensions de contrôle : la perception et l’action. La première nous met en présence d’un sujet passif et la deuxième nous lie à un sujet actif. L’interaction entre le passif et l’actif donne lieu à un sujet existentiel dont le trait le plus important est la « volition ». En tous les cas, de l’intersection de la perception et de l’action se crée un parcours tensif qui, comme le précise Zilberberg, est caractérisé par « la quête de telle valeur »6. Il peut en résulter que le sujet de l’erreur est un sujet en quête du sens de la vie. Ce qui lui confère un caractère à la fois intentionnel et événementiel. Intentionnel dans le sens où l’erreur débute par la perception et qu’elle est concernée par la visée et événementiel dans la mesure où le sujet de l’erreur se définit par l’aventure et le risque.

La visée tensive et aspectuelle de l’erreur à partir de la thèse de Descartes

Du point de vue de Descartes les erreurs humaines ont pour cause soit le pouvoir soit le vouloir. C’est ce qui peut leur attribuer un caractère modal.

Note de bas de page 7 :

 R. Descartes, Méditations métaphysiques, http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/file/descartes_meditations.pdf, Mise en ligne par le site Philosophie en décembre 2010, p. 50.

« … Me regardant de plus près, et considérant quelles sont mes erreurs (…), je trouve qu’elles dépendent du concours de deux causes, à savoir, de la puissance de connaître qui est en moi, et de la puissance d’élire, ou bien de mon libre arbitre : c’est-à-dire de mon entendement, et ensemble de ma volonté »7.

Note de bas de page 8 :

 Selon Fontanille et Zilberberg, du point de vue tensif, chaque modalité peut correspondre à « un type de modulation : la ponctualisation du devenir ( …) sous-tend le devoir ; l’ouverture est en revanche caractéristique du vouloir, dans la mesure où il donne libre cours à d’autres possibles, voire à des bifurcations et à une réorientation du devenir ; le pouvoir ayant pout tâche de soutenir le cours d’une orientation déjà engagée, et de lui permettre de rencontrer sans déviation les obstacles et les contre-programmes, il sera considéré comme un produit de la modulation « cursive » : la clôture, enfin, provisoire ou définitive, est nécessaire à la mesure, à la saisie, voire à l’évaluation du parcours accompli et elle sous-tendrait en cela le savoir », Tension et signification, Sprimont-Belgique, Pierre Mardaga, 1998, p. 173.

Si l’on remarque bien, d’après Descartes l’erreur peut faire appel à trois modulations différentes qui font obtenir, comme nous le précisent J. Fontanille et Cl. Zilberberg8, des modalités de vouloir, de pouvoir et de savoir. La première modulation avancée et soutenue par Descartes est celle du pouvoir. Le pouvoir-connaître qui compose et condense la puissance et le savoir est une modulation « cursive » qui témoigne de l’engagement d’un certain savoir de la part du sujet. Ainsi le pouvoir fonctionne comme une dynamique du parcours qui soutient le cours d’un savoir indéfini et indéterminé. Ce qui veut dire que nous avons affaire à un champ ouvert où une multiplicité de savoir s’offre au sujet. Dans cette perspective, le pouvoir se définit par son rôle extensif étant donné qu’il oriente le sujet vers des savoirs multiples. Mais le sujet de l’erreur ne peut pas vivre éternellement dans le champ ouvert et sans borne du avoir. C’est pourquoi, comme l’indique Descartes, le pouvoir finit lui-même par réduire ce champ et par lui imposer une limite. De cette manière, le pouvoir-élire achève le parcours de l’erreur et réalise la clôture du champ. Autrement dit, tout se passe comme si le pouvoir finissait par arrêter le cours de la recherche tout en lui prévoyant un accomplissement. On peut en déduire que le pouvoir connaître ne peut être que celui de la visée, vu qu’il soutient l’élargissement des connaissances et qu’il garantit la multiplicité des savoirs ; alors que le pouvoir élire ne peut être que celui de la saisie, puisqu’il a une force réductrice et qu’il participe à la sélection et au tri d’une seule connaissance. Cependant, comme nous avons pu le constater, pour Descartes, l’erreur relève soit du pouvoir soit du vouloir. Ce qui signifie que le vouloir fonctionne aussi comme une ouverture et peut de cette façon lier le sujet à de divers possibles ou même à des « bifurcations » qui réorienteraient le cours de son devenir. En d’autres termes, le vouloir reste disponible à intervenir après chaque clôture du champ afin de permettre au sujet d’inventer de nouveaux présents et de s’orienter vers de nouvelles pistes. Dans l’ensemble, ces modulations de l’erreur montrent bien qu’elle est dotée d’une part de la force tensive et de l’autre, de la particularité aspectuelle.

Note de bas de page 9 :

 J. Fontanille et C. Zilberberg, Tension et signification, idem, p. 133.

Surle plan tensif, l’erreur s’avère comme le résultat de la corrélation de l’intensité et de l’extensité. D’un côté, le pouvoir-connaître place le sujet devant le multiple. Une grande variété d’objets de valeur se trouve dans son champ de la perception et s’offre à lui. On se trouve ainsi dans une extensité maximale où le sujet ne maîtrise pas encore l’espace de la signification où sont confondus un nombre illimité d’objets de valeur. De l’autre, le pouvoir-élire fait confronter le sujet à l’unique, car l’accès au meilleur exemplaire clôt provisoirement le champ de la perception. Le sujet parvient à trier et à fixer son point de vue sur un seul objet. Nous sommes ainsi devant une extensité minimale qui ferme le parcours de l’erreur. Mais, nous nous permettons d’aller ici un peu plus loin et d’ajouter l’idée selon laquelle au bout de chaque tri un nouveau vouloir entre en jeu pour renouveler le processus de l’erreur. Cette forme de « volition » correspond à une intensité maximale puisqu’il engage « l’ensemble de la volonté ». Dans cette optique, il semble bien que nous avons affaire à une corrélation converse. En effet, une fois que l’ensemble de la volonté est mobilisé, le pouvoir va aussi connaître une amplification et, pour dire comme Fontanille et Zilberberg, nous sommes dans les « valeurs fortes »9. Et quand le pouvoir-élire atténue l’étendu du savoir, la force du vouloir diminue également. On peut en affirmer que si au départ c’est le vouloir maximal qui garde son emprise sur le pouvoir en extensité, au retour et en résolution c’est le pouvoir minimal qui fait demeurer le vouloir en intensité faible sous son autorité. Les grandes zones qui définissent le parcours tensif du sujet de l’erreur peuvent être reportées sur le diagramme suivant.

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Note de bas de page 10 :

 A.J. Greimas et J. Fontanille, « Avant-propos », Le discours aspectualisé, Actes du colloque « Linguistique et Sémiotique I », sous la direction de J. Fontanille, Limoges/Amsterdam/Philadelphia, Pulim/Benjamains, 1991, p. 14.

Du point de vue aspectuel, c’est la consommation ou la production de l’erreur qui font sens. De fait, tant que le sujet de l’erreur continue à être confronté dans le champ de la perception à divers objets non triés, il a le statut d’un sujet inaccompli et l’erreur jouit ainsi d’une dynamique qui déploie sa force existentielle. Mais dès qu’un tel sujet atteint à une résolution et qu’il sélectionne son objet, il se dote de l’aspect accompli et il commence à perdre son enthousiasme jusqu’à ce qu’une nouvelle volition le réoriente. Il suffit donc que l’erreur s’use pour qu’elle tombe dans l’évanescence et qu’elle se rallie à une valeur faible. Nous pensons que dans le processus de l’erreur l’accompli et l’inaccompli se définissent par la relation du sujet et l’objet. A ce propos, Greimas et Fontanille constatent que « l’information a deux sources interactives, et donc qu’elle reçoit deux orientations : du procès vers l’observateur et de l’observateur vers le procès »10. Quand l’ouverture du champ offre une multitude d’objets, c’est le sujet qui peut être informé par l’erreur. Une telle position serait celle du débrayage puisqu’une indépendance vient désigner la relation sujet/objet. Le pouvoir-connaître fait part d’une liberté existentielle et sémantique qui n’impose aucune contrainte au sujet de l’erreur. C’est par rapport à cette liberté que l’erreur relève de l’inaccompli.

Note de bas de page 11 :

 R. Descartes Méditations métaphysiques, idem., p.52.

« D’où est-ce donc que naissent mes erreurs ? C’est à savoir, de cela seul que la volonté étant beaucoup plus ample et plus étendue que l’entendement, je ne la contiens pas dans les mêmes limites, mais que je l’étends aussi aux choses que je n’entends pas »11.

Note de bas de page 12 :

 Cl. Zilberberg, « Aspectualisation et dynamique discursive », Le discours aspectualisé, idem, p. 101.

Au contraire, quant au pouvoir-connaître (« s’étendre aux choses ») se substitue le pouvoir-élire, le sujet atteint le stade de l’embrayage et il est obligé de vivre une contrainte existentielle qui l’introduit dans une position accomplie étant donné qu’il est mené à suivre son choix ainsi que de subir tous ses effets. L’analyse aspectuelle montre que l’erreur constitue ici deux strates fonctionnelles différentes : l’erreur en tant que génératrice des valeurs d’univers quand elle se trouve du côté de l’inaccompli et qu’elle est évaluée comme une « volonté ample » ; et l’erreur en tant que productrice des valeurs d’absolu quand elle apparaît dans la case aspectuelle de l’accompli et qu’elle est estimée comme « pouvoir élire ». Pour dire comme Zilberberg12, le procès de l’erreur est soumis à deux sortes d’orientation « introjective » et « projective ». La première est homologable à ce qui élargit et déploie la visée du sujet. Et la deuxième est définissable comme ce qui clôt la vision de ce dernier vu qu’elle le conduit vers une fin provisoire du procès.

L’erreur en tant que productrice des formes de vie : une lecture de La Fontaine

Cependant, pour La Fontaine l’auteur des fables bien connues, l’erreur se situe à un autre niveau et est évaluée tout autrement. Dans « La laitière et le pot au lait », La Fontaine suggère :

Note de bas de page 13 :

 J. de La Fontaine, « La laitière et le pot au lait », Collections littéraire Lagarde et Michard : XVIIe Siècle, Paris, Bordas : 1985, pp. 231-232.  

« Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes ; Tout le bien du monde est à nous, tous les honneurs, toutes les femmes »13.

Cette maxime situe l’erreur au stade d’un destinateur-sujet qui est capable d’agir sur nous et d’«emporter » notre être. Doté d’un tel pouvoir-faire, celle-ci possède une force particulière qui nous surprend sans nous laisser le temps d’« élire ». Contrairement à tout ce que nous avons pu retirer de la thèse de Descartes, tout le pouvoir est attribué ici à l’erreur devant laquelle nous ne sommes que des destinataires contraints à subir ce qu’elle nous prévoit. L’analyse de cette maxime peut révéler plusieurs particularités sémiotiques de l’erreur. Tout d’abord, cette dernière est flatteuse ; ce qui prouve qu’elle a une force manipulatrice, c’est-à-dire qu’elle est tout à fait en mesure de modifier nos compétence modales et de transformer ainsi notre ne pas devoir-faire et ne pas vouloir-faire en un devoir et vouloir-faire. Ensuite, l’erreur s’inscrit dans la sphère de l’événement, puisqu’elle se désigne par un tempo rapide face auquel nous perdons toute notre capacité de réflexion et de réaction. En effet, selon le Dictionnaire Le Nouveau Petit Robert, « enlever avec violence » est l’un des sens du verbe « emporter ». L’erreur obtient ainsi une définition forte quand elle s’approprie le rôle du sujet destinateur et son trait distinctif du mouvement est celui de la vitesse. Autrement dit, quand le procès de l’erreur est reconnu comme « enlèvement », l’intensité qui la définit se situe du côté de l’éclat. Cette définition tensive transforme l’erreur, d’une part, en un sujet tonique « suprême » par le fait d’« emporter » et, de l’autre, en un sujet tonique « fort » par la pratique de la flatterie qui signifie selon Le Petit Robert « louange excessif ». Ce qui a pour le résultat de produire, pour utiliser les termes de Zilberberg, une « syntaxe intensive de l’augmentation ».

Devant cette procédure tensive, nous ne pouvons qu’être témoin du déficit de « nous » de La Fontaine comme un sujet qualifié du passif. A l’égard de ce dernier, l’erreur apparait comme un destinateur qualifié de l’actif. Cette remarque fait part d’une différence importante de valence. En effet, selon l’auteur des fables, l’erreur occupe dans l’espace de la valence d’intensité le degré suprême de la force d’intervenir et d’agir (« emporter ») ; alors que le « nous » s’approprie dans l’espace de la valence d’intensité le degré le plus faible d’existence que l’on peut identifier au « subir ». Ainsi, dans l’espace de la valence d’extensité, le « nous » renvoie à un grand nombre de destinataires, qui, par leur faible présence, cèdent à l’erreur. De l’intersection de l’erreur et de « nous » s’obtient une corrélation inverse qui montre les positions respectives de chacun à partir du diagramme suivant.

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Mais, la maxime de La Fontaine laisse entendre que la syntaxe intensive de l’augmentation rencontre une syntaxe extensive. De fait, l’erreur fait en sorte que le nous soit conjoint à « tout le bien du monde », à « tous les honneurs » ainsi qu’à « toutes les femmes ». Etant à la fois suprême et rapide dans son action d’emporter et forte dans son acte de flatterie, l’erreur apparaît comme un destinateur-sujet qui crée l’événement et qui nous surprend. Dans cette optique, elle adopte une forme de vie relevant du survenir. Tandis que le nous, qui ne peut que subir ce que l’erreur lui prépare, se révèle comme un destinataire-sujet relevant du subir et optant pour une forme de vie qui prend sens dans le parvenir. En conséquence, nous sommes confronté à deux champs de présence bien distincts : celui de l’erreur qui marque sa présence par la soudaineté d’agir et qui fonctionne donc par le coup ; de ce point de vue, l’erreur ressemble à un éclat qui survient et qui crée l’événement ; et celui de « nous » qui se caractérise par l’état et qui fait mention d’une conjonction étalée et en extensité ; ce qui lui offre le trait existentiel d’un sujet d’état. Le diagramme suivant peut bien montrer l’interaction entre les deux syntaxes de l’intensité et de l’extensité.

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Note de bas de page 14 :

 CL. Zilberberg, Des formes de vie aux valeurs, idem, p.11.

De l’écart entre le survenir et le parvenir se crée deux modes distincts de présence : celui de l’immédiateté et de l’instantané contre celui de l’élasticité et de l’extensible. Ce qui nous conduit, soutiendrait Zilberberg, vers un mode d’« efficience » qui repose sur le tempo. « La vitesse à elle seule ne rend pas compte de ce mystère épistémique : le vécu de l’intensité. C’est l’interdépendance structurale de l’élasticité de la vitesse et de l’élasticité de la durée qui permet de commencer à le penser »14. Tout se passe comme si le contenu du champ de présence du sujet qui subit la force brutale de l’erreur changeait soudainement pour témoigner de l’ampleur de l’événement (être emporté). Mais, tout comme nous le dépeint La Fontaine, une fois le changement réalisé, le contenu du mode de présence du même sujet sera modifié. C’est ce qui permettra d’ailleurs à ce dernier d’apprécier l’ouverture de nouvelles grandeurs où il sera possible de faire l’expérience d’une grande quantité du bien ainsi que de passer à l’« exercice » ralenti et progressif de faire l’usage de l’infinité des honneurs.

Note de bas de page 15 :

 J. de La Fontaine, ibidem.

« Tout le bien du monde est à nous, tous les honneurs, toutes les femmes. »15

Note de bas de page 16 :

 « La schématisation, c’est le moment où une situation-occurrence problématique (toute situation est par définition problématique pour l’action qui y advient) est analysée (ou seulement ressentie) dans ses résistances et ses zones d’altérité les plus saillantes. Cette analyse consiste pour l’essentiel en la recherche d’un schème organisateur : recherche d’une isotopie,  d’un jeu de rôles actantiels, des modalités dominantes, des latitudes spatiales et temporelles », J. Fontanille, Pratiques sémiotique. Paris, PUF., 2008, p. 133.

Cette vision décrit l’erreur comme un destinateur-sujet à double capacité : d’une part, elle est dotée d’une force événementielle qui nous démunit de l’opération cognitive tout en nous privant du temps de réflexion  (« emporter ») ; et de l’autre, elle nous introduit dans un univers ouvert à la « pratique » où il s’agit de faire l’expérience du sens de l’action et où le cognitif peut se mêler de l’affectif (nous possédons tout le bien du monde et tous les honneurs sont à nous). En outre, l’événement introduit le destinataire dans une série d’actions et dans une multitude d’expériences à partir desquelles, même si ce n’est que virtuellement, quelques stratégies de « schématisation16 » et de « régulation » se font jour (on peut encore faire allusion à La Fontaine d’après qui « quand je suis seul, je fais au plus brave un défi »). Ces pratiques et ces expériences seraient à l’origine de ce que Fontanille définit comme un « défaut de sens » pouvant aboutir ou non à une séquence de résolution.

Note de bas de page 17 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 132.

« Le défaut de sens est une formule générique qui laisse toute latitude aux expériences concrètes ; mais quelles que soient ces expériences concrètes, le défaut de sens est suscité à l’intérieur d’une situation-occurrence, par le fait même que, étant ainsi mise en situation, toute occurrence particulière de l’action a lieu en cooccurrence avec des circonstances, avec d’autres pratiques, d’autres acteurs, et sous des conditions spatiales et temporelles spécifiques. Le défaut de sens, en somme, découle du fait qu’aucune pratique concrète ne peut se dérouler hors situation, « sous vide » sémiotique, in abstracto, et sans confrontation avec d’autres ; en d’autres termes, une situation occurrence est l’espace-temps sémiotique de la confrontation entre une pratique et son altérité : c’est une autre manière de définir l’espace des stratégies, mais intégré à la pratique elle-même »17.

Note de bas de page 18 :

 J. de La Fontaine, ibidem.

C’est dans une telle perspective que toute erreur est l’occasion de la mise en place d’une espace-temps sémiotique intègre en quelque sorte le sens de l’action, étant donné qu’il donne lieu à une confrontation entre l’événement et l’exercice. Donc, en tant qu’action, l’erreur peut être suivie d’autres actions ou même d’autres événements. Cette succession est en vérité créative du défaut de sens dans l’exacte mesure où elle pourrait donner une nouvelle allure ainsi qu’une nouvelle tension au sens de la vie. De cette façon, l’erreur est interprétable non seulement comme une tension entre l’événement et l’expérience, mais aussi comme une tension entre une expérience confrontée à d’autres expériences. Ainsi, pour l’auteur des fables, l’erreur engendre d’abord un certain débrayage entre le Moi et le Soi et puis un réembrayage entre ceux-ci, puisque « quelque accident fait-il que je rentre en moi-même »18. Cette remarque nous conduit dans le domaine du corps et fait la différence entre le corps-chair et le corps propre tel que Fontanille nous en fait part dans son dernier livre intitulé Corps et sens.

Note de bas de page 19 :

 J. Fontanille, Corps et sens, PUF, 2011, pp. 12-13.

« D’un côté, on distinguera la chair, qui distingue les corps-actants de tous les autres corps, en ce sens qu’elle est une substance matérielle dotée d’une énergie transformatrice ; cette double constitution lui permet de résister ou de contribuer à l’action transformatrice des états de choses, mais aussi d’être le centre de référence de ces transformations et de ces états de choses signifiants, le centre de la prises de position sémiotique élémentaire. La chair serait à ce titre l’instance énonçante par excellence, en tant que force de résistance et d’impulsion, mais aussi en tant que position de référence, une portion de l’étendue à partir de laquelle cette étendue s’organise. (…). D’un autre côté, on distinguera le corps propre, c’est-à-dire l’identité qui se construit au cours du processus de sémiose, dans la réunion des deux plans du langage, mais aussi dans le déploiement syntagmatique de chaque sémiotique-objet, notamment dans l’espace et dans le temps. Le corps propre serait donc porteur de l’identité en construction et en devenir et il obéirait quand à lui à une force directrice. »19

En effet, à suivre La Fontaine, l’erreur produit une bifurcation entre deux instances du corps du même sujet : un corps propre (le Soi), qui, sous la force du survenir abandonne le corps-chair, c’est-à-dire son espace d’origine (le Moi), et qui fait l’expérience du débrayage. Cependant, la division entre ces instances n’est pas définitive étant donné que « quelque accident » prépare le retour du sujet dans son espace-source. Cette remarque montre que le sujet soumis à l’erreur est, au retour tout comme au départ, un sujet du subir. Si au commencement il a été emporté par l’erreur, au bout du procès tensif, il rejoint son Moi par le biais de quelque accident. Ce qui prouve qu’au bout de ligne, l’erreur est productrice des « irruptions de la discontinuité » qui créent des accidents. Selon Landowski, le régime de l’accident nous fait vivre le risque, la menace et l’absurde.

Note de bas de page 20 :

 E. Landowski, « Les interactions risquées », Nouveaux actes sémiotiques, n° 101, 102,103, Limoges, PULIM,2005, p. 63.

« Du point de vue d’une théorie de l’accident, peu importe par conséquent qu’à raison de la nature de leurs répercussions pragmatiques certaines discontinuités soient vécues dysphoriquement comme des désastres et d’autres euphoriquement comme d’heureux événements (…). Car sur le plan symbolique – du point de vue du régime de sens -, elles induisent toutes le même type d’effet. Ne donnant prise à aucune forme de compréhension, elles ne nous offrent moralement aucune sécurité : en un mot elles nous plongent dans l’absurde. »20

Note de bas de page 21 :

 E. Tarasti, Fondements de la sémiotique existentielle, Traduction de J.L. Csinidis, Paris, L’Harmattan, 2009.

L’erreur est ainsi productrices des discontinuités qui pourraient être à l’origine de l’accident et par conséquent du passage à des situations tensives. Elle s’explique en effet comme ce qui s’approprie deux pouvoirs distincts. Tout d’abord, elle « emporte » le sujet par une « flatterie », le lie ainsi au bonheur et à l’honneur et invente une vision euphorique du monde et des choses. Et ensuite, elle génère des accidents qui ramènent le sujet à son univers du départ et qui font ainsi naître une vision dysphorique ou encore quelquefois euphorique de l’existence. De ce point de vue, l’erreur participe dans un premier temps au procès du débrayage du sujet de son monde d’origine : la rupture avec le Moi-chair et le passage au Soi-corps ; et elle peut contribuer dans un deuxième temps dans le procès du réembrayage du même sujet avec le monde « chair » : le retour au Moi, mais cette fois, comme le précise Tarasti, avec une nouvelle expérience : après le retour au Dasein, « le sujet voit donc ce dernier sous un autre jour. Beaucoup d’objets y ont perdu leur sens, leur signification n’est plus qu’une façade. Cependant, ceux qui ont conservé tout leur sens sont dès lors pourvus d’un contenu nouveau, enrichi par cette expérience existentielle inédite. Le « soi sémiotique » du sujet renaît, pour ainsi dire »21.

En somme, on ne peut pas ignorer le fait que l’erreur, dépeinte par La Fontaine, appartient, tout comme nous l’avons constaté plus haut, à la fois au régime tensif du survenir et à celui du parvenir. Ceci nous mène à conclure que deux formes de vie peuvent expliquer l’univers existentiel du sujet qui subit l’action de l’erreur : une ascendance et une décadence. La première est responsable de ce qui procure au sujet des compétences virtuelles le dotant d’une intensité (« tous les honneurs ») et d’une extensité (« tout le bien ») fortes. Et la deuxième se comprend comme une décélération existentielle qui témoigne d’une intensité et d’une extensité faibles.

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Erreur comme forme de vie : l’analyse de la vision de Mir-Asadollah

Note de bas de page 22 :

 Pour plus d’information sur la question de l’erreur chez Mir-Asadollah, on peut se reporter à Hamid-Reza Shairi. « Le sublime de l'erreur : quand le renversement de la vérité relance la signification » Nouveaux Actes Sémiotiques [en ligne ]. Recherches sémiotiques. Disponible sur : <https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/1832> (consulté le 29/11/2011).

Pour l’auteur iranien Mir-Asadollah22, l’erreur se présente différemment puisque c’est d’elle que dépend toute la raison d’être du sujet. De fait, après avoir terminé son parcours d’énonciation, « l’auteur » s’identifie de la façon suivante :

Note de bas de page 23 :

 A.R. Mir-Assadollah, Les gens ordinaires,Téhéran, Nashr-e Markaz, 2005. (c’est nous qui traduisons).

« Toutes les erreurs de ce livre sont faites délibérément ; et en principe, l’auteur de ce livre ne commet que des erreurs dans toutes les étapes de sa vie et d’une manière tout à fait consciente. »23

Comme on s’en aperçoit, l’erreur justifie toute la présence du sujet au monde. Il ne s’agit plus ici, comme c’était le cas chez La Fontaine de se trouver dans un état passif et d’être emporté par elle. Tout au contraire, il est question de chercher sa présence à travers l’erreur. Cette dernière se définit alors comme la performance pour un sujet qui ne peut qu’en être fier. On dirait que nous sommes ainsi dans la sphère du parvenir où la voix active prévaut sur la voix passive. Tout se passe comme si tout le sens de la vie du sujet dépendait de l’erreur. C’est pourquoi du point de vue du mode existentiel, le sujet vise la réalisation à partir du faire et de l’être. De cette façon, l’erreur conditionne tout l’être du sujet dont la visée témoigne de plusieurs strates signifiantes : i) un procès narratif en terme actionnel, puisque le sujet « ne commet que des erreurs dans toutes les étapes de sa vie » ; ii) un parcours modal étant donné que l’erreur implique une traversée existentielle depuis la virtualisation jusqu’à la réalisation (commettre des erreurs délibérément et consciemment) ; iii) une dimension aspectuelle, vu que l’erreur relève de l’accompli (les erreurs sont commises) et étant donné qu’elle ne peut que faire accéder le sujet au perfectif (l’erreur devient la forme de vie d’un sujet dont tout le sens de son existence en dépend étant donné qu’il ne commet que des erreurs) ; iv) un niveau tensif, du fait que la voix active place le sujet de l’erreur du côté du parvenir (la visée) et le caractérise de cette façon par un tempo lent et continu concernant « toutes les étapes de la vie ».

Ce constat montre que l’erreur constitue la forme de vie d’un sujet qui organise tout à partir d’elle. Cette vision nous met en présence d’un mode d’efficience dont les traits les plus importants sont le développement et l’élasticité. Un tel sujet d’erreur nous introduit dans la sphère du parvenir qui s’explique, pour dire comme Zilberberg, par « l’exercice ». Ainsi, l’erreur que Mir-Asadollah choisit comme forme de vie ne relève plus, comme c’était le cas chez La Fontaine, de l’événement et elle ne nous renvoie point au survenir. Autrement dit, elle n’apparait plus comme un événement emportant le sujet et elle renvoie surtout au vouloir-être et au savoir-faire de ce dernier. Elle s’obtient donc sur la base de l’implication et se prépare par le biais de la « conscience ». C’est peut-être ce qui justifie son aspect désirable.

Note de bas de page 24 :

 P. Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 218.

«  (…) aux notions de vie et d’activité, il faut joindre celle de conscience. La conscience n’est pas seulement conscience de la perception et de l’activité, mais conscience de la vie. Dans la mesure dès lors où la conscience de la vie est agréable, on peut dire que le sens profond de la philautia est désir : la propre existence de l'homme de bien est pour lui-même désirable »24.

Contrairement à Mir-Asadollah pour qui l’erreur contient le sens profond du « désir », chez La Fontaine, celle-ci peut aller jusqu’à créer le sentiment de l’absurde et même du repentir. Dans cette perspective, on peut formuler l’hypothèse selon laquelle l’erreur, en tant que forme de vie, peut participer à la création de différents régimes de sens : un régime narratif qui est nourri par la conscience et dont la réalisation dépend de l’exercice ; un régime d’aléa qui est d’ordre événementiel et qui peut faire naître l’absurde ou le repentir ; et enfin un régime tensif qui repose sur l’intersection du parvenir et du survenir. Graphiquement, les deux conceptions de l’erreur présentées par La Fontaine et Mir-Asadollah peuvent être montrées de la manière suivante.

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Note de bas de page 25 :

 En interprétant Spinoza et Descartes, Chantal Jaquet précise que « l’erreur naît de cela seul que la volonté par son infinité s’étend aux choses que l’entendement fini n’entend point ». « L’erreur dans les principes de la philosophie de Descartes de Spinoza, I, XV., Analytica, Rio de Janeiri, v.13, n°2, 2009, p. 16.

Dans l’ensemble, on peut soutenir que, contrairement à Descartes et Spinoza pour qui l’erreur n’est pas « une pure négation, (…) mais plutôt une privation de quelque connaissance »25, pour Mir-Asadollah et dans une conception moderne, elle est justement basée sur la conscience, est approuvée par la sagesse et contribue au sens de la vie.

En guise de conclusion

Un vouloir-s’étendre et un pouvoir-connaître entrent en interaction et engendrent l’erreur. L’intersection de ces deux modalités nous met devant la renaissance du sujet sémiotique, soit par le biais d’un débrayage avec le corps-chair et donc l’attachement au corps-propre, soit par le réembrayage et le retour au Moi-chair, c’est-à-dire l’initiation à un nouvel investissement. Comme nous l’avons constaté, l’erreur participe à la construction de la forme de vie par un engagement tensif. En effet, elle nous met en présence de deux syntaxes tensives de l’augmentation : celle de l’intensité et de l’extensité. La première correspond au survenir et elle contribue à la création de l’événement et la deuxième est homologable au parvenir et elle est responsable de l’exercice. Deux formes de vie en résultent : l’absurdité qui renvoie à la définition intensive de l’erreur et qui prend sens dans l’événement ou dans l’accident ; et la sagesse (la « conscience ») qui fait référence à l’interprétation extensive de l’erreur et dont le sens dépend de l’exercice ainsi que de l’activité consciente du sujet. C’est exactement celle-ci qui transforme l’erreur en une forme de vie étant donné qu’elle la présente comme un pur « désir ».