L’écriture et l’idéologie en Afrique noire. Le cas du syllabaire vai

Mlaili Condro

La question du rapport entre l'écriture et l'idéologie en Afrique noire ne peut échapper au discours du "grand partage culturel" entre sociétés avec écriture et sociétés sans écriture. En effet, ce grand partage, épistémologique aussi, lui impose un programme de lecture et un détour par une grammatologie européenne traditionnelle qui refuse à l'Afrique noire toute contribution significative et propre à l'aventure de l'écriture, qui situe l'Afrique noire hors de l'espace et du temps de l'écriture.
L'analyse de cette grammatologie et l'étude du syllabaire vai, convoqué comme cas exemplaire et heuristique, montrent que le point de vue dualiste fonde, en dernier lieu, le rapport entre l'Afrique noire et l'écriture sur un plan de rapports de forces, qui situe tout le sens des écritures africaines dans une sémiosis de passivité, de défense et de soumission.
Cependant, s'inscrivant dans l'approche discursive de cette recherche, le travail d'analyse s'intéresse plutôt au procès de l'écriture, pour retenir des stratégies énonciatives, des moyens matériels, culturels et sémiologiques mobilisés et déployés par un sujet sémiotique et historique mu par un vouloir-écrire déterminant. Aussi l'attention sémiotique accordée au recours théologique ou mythique (le rêve) de l'énonciation scripturaire permet-elle de rompre avec le type de grammatologie qui voit dans ce recours, entre autres, la nécessité naturelle, réitérée, de palier au défaut sémiotique de la parole en lui adjoignant des signes conventionnels, qui exclut d'avance qu'on identifie un rapport originel entre l'écriture et le pouvoir, qu'on envisage donc une conception plus positive de l'écriture et par là l'originalité de toute grammatologie négro-africaine.
En réalité, on doit pouvoir envisager que l'écriture ou toute configuration scripturaire ne trouve la pleine mesure de son sens que dans l'histoire et la pratique qui l'instituent comme valeur et activité de sens pour la société toute entière

The question about link between writing and ideology in Africa can not be examined out of the cultural divide between societies with writing and societies without writing. In fact, the Great Divide, which is an epistemological divide, imposes on it a programmed interpretation and the European traditional grammatology. This grammatology refuses to accept any significant and specific African contribution to the history of writing, and situates Africa outside the writing area and time.
The analysis of this grammatology and of the Vai syllabary shows that the dualist point of view lastly bases the link between Africa and writing on the balance of power level, where the African writings are understood as reflecting passivity, resistance or submission. Yet, considered through discursive approach, the work of analysis rather insists on writing process so as to note strategies of enunciation, material, cultural and semiological means used by a semiotic subject who is characterised by a determining will-to-writing. Therefore, setting a semiotic attention to the theological and mythic (dream) form of writing enunciation allows to break up with this sort of grammatology which considers that form of enunciation, among others, only shows the natural necessity, reiterated, of making up for speech semiotic imperfection by adding conventional signs. Thus, this grammatology already prevents identifying writing with power, then having a positive conception of writing and, in that case, considering the originality of any African grammatology (or grammatologies).
In fact, it can be considered that writing or any writing configuration only displays the full measure of its meaning in the history and the practice that establish it as value and meaningfu1 activity for the whole society.