Cartographies ethno et socio-sémiotiques
Considérations théoriques et méthodologiques, et un projet d’analyse sur les espacesurbains

Federico Montanari

Université de Bologne

https://doi.org/10.25965/as.5264

Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : ethnosémiotique, self-mapping, territoire

Auteurs cités : Youri LOTMAN, Gianfranco MARRONE, Francesco MARSCIANI

Plan
Texte intégral

1. Introduction, objectif général, motivation et cadrage des travaux

Note de bas de page 1 :

 Nous voulons rappeler que cet essai, ainsi que l’ensemble de la recherche à laquelle il fait référence, doit beaucoup au travail de l’ensemble du Groupe de recherche CUBE, Université de Bologne, mais tout d’abord à celui de Gaspare Caliri que je tiens ici à remercier à la fois pour son travail en tant que chercheur et membre du CUBE que pour l’élaboration des images présentées et le travail de traçage GPS. Merci également à Luca Frattura, avec lequel nous avons co-écrit un autre article sur cette recherche ainsi qu’à Francesco Marsciani, directeur du CUBE.

Le but de cet article est de présenter un projet d’analyse des espaces urbains réalisé par l’auteur avec d’autres chercheurs de l’Université de Bologne dans le cadre du groupe CUBE (Centre Universitaire de Bologne en Ethnosémiotique) pour la période 2010-2011. Le projet de recherche “Self-mapping” est né pour mettre au point, et à l’épreuve, une méthodologie que nous pensons innovante en fonction d’une approche “bottom-up” pour l’analyse des espaces urbains1. L’objectif général est d’étudier les moyens d’usage de l’espace urbain par ses habitants : selon quelles modalités traversent-ils ces espaces ? Aussi, cette démarche qui croise l’observation et l’analyse – dans une perspective sémiotique mais de façon interdisciplinaire – avec l’utilisation des mappings et des cartes produites par l’utilisation d’outils technologiques d’usage courant aujourd’hui (comme le GPS ou GIS ou SIG), nous semble-t-elle novatrice. Précisons qu’il s’agit, plus globalement, d’aborder le territoire par la connaissance des pratiques de ses habitants à partir de nouvelles formes de marketing territorial, selon une approche que l’on qualifie aujourd’hui « par le bas ».

Note de bas de page 2 :

 Voir les travaux de Greimas, 1976, et avant, ceux de Barthes, 1967, de Choay, 1969, ou de De Certeau, 1980 puis ceux réalisés par Hammad en 2003. Pour ce qui est de quelques exemples récents en Italie citons notamment les travaux de recherche et les recueils d’essais dirigés par Marrone, Pezzini (2006, 2008) sur divers espaces urbains et également Volli, 2009, Cervelli et Sedda, 2006. Pour un raisonnement d’ensemble, voir Marrone, 2009.

Note de bas de page 3 :

 Voir les recherches de K. Lynch (1960 et 1976) « découvertes », justement, par Barthes (1967), ou, dans une autre direction, celles de Jacobs (1961).

Lors des dernières décennies l’intérêt pour l’étude des villes et des espaces urbains autant du point de vue des sciences humaines, de la planification sociale, urbaine et régionale, que de la biologie, des études de l’environnement et de l’ingénierie a augmenté et s’est progressivement développé. Rappelons, par ailleurs, le développement d’études sémiotiques sur les espaces architectoniques et urbains : ils se sont également multipliés et étendus2. Quant au champ plus vaste des urban studies, un des points de départ pour des recherches pionnières3 qui ont marqué parfois la sémiotique, les raisons de cet important « intérêt » sont différentes. Pendant ce temps, le «problème de la ville» est devenu, peut-être, le «problème par excellence» qui caractérise notre monde globalisé. Problème crucial pour la coexistence et même pour le développement et la survie de l’espèce humaine et du monde en général. En ce sens, il faudrait rappeler, il y a quelques années, la déclaration de l’Organisation des Nations Unies (anticipée par les prévisions de nombreux planificateurs et anthropologues) selon laquelle la majorité de la population humaine vit désormais dans les villes.

Un urbaniste parmi les plus connus, Mike Davis, dont les travaux s’inscrivent dans la plus vaste veine des urban studies, faisait valoir en ce sens que la métropole ou la mégalopole, et toutes les grandes villes en général, considérées comme des systèmes écologiques en termes d’échange avec l’environnement extérieur (cycles de l’eau, déchets, transports, logistique, distribution alimentaire) sont caractérisées par un degré de complexité beaucoup plus élevé que celui d’une forêt tropicale, par exemple.

Bien sûr, la comparaison ne peut convaincre complètement le biologiste ou l’étudiant de botanique, et peut-être même pas le sémioticien, mais il est important de souligner l’extrême degré de complexité systémique des villes. D’autre part, on peut rappeler une métaphore proposée par Claude Lévi-Strauss. Dans une interview du quotidien italien La Repubblica, il y a quelques années, il avait souligné que les villes, vues de loin, apparaissent presque comme une sorte de « métastase », ou une calcification d’une sorte de grand mal envahisseur, un mal de la terre (l’espèce humaine). Au-delà du caractère apparemment apocalyptique de cette vision, la métaphore est sans doute efficace pour montrer comment les villes peuvent être considérées comme des formations et des couches, les produits, les urgences et les condensations des pratiques concrètes de la vie humaine.

Note de bas de page 4 :

 Cf. De Oliveira, citée, dans Marrone, op. cit..

Par ailleurs, nous voudrions pour notre part souligner, à la suite de Marrone, l’importance de la dimension textuelle des phénomènes urbains, et surtout le lien entre cette dimension textuelle et le mapping. La dimension textuelle, en ce qui concerne la ville, aujourd’hui, consiste à penser que les phénomènes urbains, dans leur complexité, doivent être considérés comme stratifiés selon des niveaux de champs phénoméniques en couches parallèles et en translation entre eux. Chaque niveau offre une organisation de signification, avec des formes et des substances d’expression et de contenu (tels que les réseaux routiers, ou la perception des «zones» de la ville, ou des styles des vitrines4, ou même des centres commerciaux) qui interagissent les uns avec les autres.

Deux idées clefs nous serviront de point de départ. Celle de Greimas, pour qui le langage topologique de la ville est une langue « autre », qui parle des relations sociales entre les différents acteurs, en l’occurrence de relations inter-actantielles de type collectif. Et l’idée, venue de Lotman, qu’une ville stratifie son sens à travers ses activités, et qu’en même temps une culture s’auto-représente dans la construction urbaine. Car aujourd’hui, l’activité de « mappage » dans ses nouvelles formes (à la fois en ce qui concerne les activités de recherche et les activités « folk », même si les deux domaines sont parfois difficiles à séparer) offre le trait d’union entre ces deux niveaux : entre la pratique textuelle urbaine et son auto-représentation.

2. Couches de sens et nouvelles énonciations dans les textes urbains

La question qui se pose est de savoir s’il est possible de proposer une piste de recherche, à côté de celles déjà tracées, qui fasse preuve d’innovation.

Les motivations fondamentales à la base du projet « Self-mapping » étaient, d’une part, la découverte de cette nouvelle dimension prise par le thème des études urbaines, d’autre part l’intérêt et le désir de relier ces domaines de recherche. A ceci il faut ajouter l’intention de les connecter à la question, jugée innovatrice par le groupe Cube, de la production de cartographies en tant que nouveaux dispositifs d’observation. Il y a, à cet égard, deux raisons plus spécifiques qui ont conduit à l’élaboration et la formulation du projet « Self-mapping ».

D’une part, il y a un problème de sémiotique de la culture. L’extension et la diffusion de projets et de travaux en « mappings » (autant à caractère scientifique que pour des usages sociaux et de marketing aux fins commerciales) concernent non seulement des zones urbaines, mais des “espaces” en général. Aujourd’hui, ce type de travail, et la production, la transformation et la construction des cartes, atteint, comme nous le savons, une prévalence énorme, et traverse les frontières des disciplines traditionnelles. En fait, depuis plusieurs années, cette « pratique cartographique » est devenue une véritable pratique sociale, culturelle, largement répandue, et avec des fonctionnalités qui ne sont pas seulement celles de la vente commerciale proposée, mais aussi, pour ainsi dire, elle a pris les traits d’une pratique «bottom up» extrêmement répandue. Pensons au cas de Google, avec Google Maps ou Google Earth ou à la propagation de dispositifs tels que les smartphones et, avant eux, la transition vers l’utilisation des SIG (GIS) et GPS de l’utilisation professionnelle (par les géographes, géologues, archéologues, militaires, ingénieurs et chercheurs) à celle des automobilistes, des touristes, des amoureux de l’alpinisme et du trekking, des propriétaires de bateaux et des skippers. Tout cela ne peut plus être considéré comme secondaire par les motivations de la recherche et ses objectifs. Surtout si la recherche doit se développer dans le cadre des sciences sociales et humaines où il s’agit d’observer le comportement des membres de cette race que sont, comme certains le disent, les singes, qui, parfois, ont l’habitude de se vêtir, jeter des bombes, mais aussi utiliser les téléphones mobiles, pour lancer leurs cris.

Mais il y a plus, et c’est le second point concernant les raisons spécifiques relatives à notre projet de recherche. Un chercheur qui étudie les relations entre sujets humains et comportements liés à la technologie, dans les sciences et la société, tel que Bruno Latour – qui entre autres choses a reçu, il y a juste quelques années, la médaille «ISA» – insiste sur cette idée : l’importance du fait que les sciences humaines et sociales sont maintenant devant le phénomène extraordinaire et généralisé des «dispositifs de visualisation». Depuis quelque temps, grâce à l’Internet, les ordinateurs, et plus généralement aux technologies et aux dispositifs, en général, de « Imaging », de « imagerie », est comme si les phénomènes et les comportements sociaux et culturels, ont été frappés par une transformation et une caractérisation qui sont peut-être évidentes pour d’autres domaines de la recherche scientifique mais qui représentent pour les sciences humaines une percée et une innovation voire un défi. Avant l’utilisation de dispositifs de visualisation (au-delà de l’utilisation de tableaux, de graphiques, de diagrammes et, sans surprise, peut-être, les mêmes cartes, patrimoine traditionnel des sciences sociales) cela est essentiellement typique des sciences physiques et naturelles – mais nous pensons même à l’usage de vidéos et de photos par l’histoire, l’anthropologie, le droit, visant à la reconstruction des moments importants ou dramatiques d’un phénomène ou d’un processus historique, ou d’un événement. Bien plus, selon Latour, c’est la technologie actuelle de visualisation et, en particulier le web, les réseaux, l’informatique et surtout, la «géolocalisation» qui représente un véritable tournant.

Depuis quelque temps, nous pouvons visualiser l’échange de SMS et des connections par les téléphones mobiles, par exemple lors d’une grand manifestation publique (et cela est, d’un autre point de vue, à la fois une opportunité pour le chercheur et une question ouverte, dans certains cas, en termes de démocratie, étant donné que, a fortiori, et en premier lieu, le même mappage peut être beaucoup plus facilement acquis et utilisé par la police). Depuis quelques années, nous pouvons, même avec le type de logiciels open source, “voir” et partager nos chemins, par exemple dans un domaine donné ou une zone urbaine. On peut (ou on ne peut pas) s’entendre sur la portée heuristique et la capacité novatrice en raison de l’utilisation de ces dispositifs de visualisation mais, de toutes façons, nous ne devons pas oublier le fait que ces formes de visualisation sont capables d’être de plus en plus partagées, « shared », entre les utilisateurs et les chercheurs.

Ici, nous touchons notre thème, l’objectif même de notre projet de recherche. Mais il faut souligner qu’à partir de cette, même rapide, introduction un point émerge : c’est l’idée de «production». Les façons de voir (et d’utiliser) les espaces urbains sont aussi des modalités pour créer des textes dynamiques et des nouvelles couches textuelles, pour produire de nouveaux objets qui interpellent les réseaux urbains. En ce qui concerne le “mapping” on trouve ici une question sémiotique spécifique.

3.Villes, textes, mapping

Note de bas de page 5 :

 De Certeau, op. cit., est parmi les premiers à l’avoir introduit mais également Caliri (2010a).

Note de bas de page 6 :

 Cf. Marrone, op. cit..

Si les villes sont des textes c’est parce qu’elles sont constamment « écrites » (et « re-écrites ») par les passages et les randonnées5. Les formes et les pratiques de production/énonciation de ces textes urbains émergent de l’activité même de traverser les espaces urbains. Bien sûr nous devons faire la distinction entre les différentes pratiques d’énonciation et entre formes de la production (d’invention) et formes de la variation6. C’est une chose d’utiliser un chemin dans un quartier mais c’est une toute autre chose d’en dresser une carte. Mais sommes nous aussi sûrs de ça ? Sommes-nous vraiment sûrs qu’il y a de voies classiques d’abord, puis des «violations» et, pour finir, des mappages ?

Note de bas de page 7 :

 Cf. Lotman, 1987.

Pourtant, nous avons l’impression que les choses vont autrement. Et aujourd’hui, en particulier, les cartes semblent ne pas avoir seulement la capacité de se générer elles-mêmes en gadgets, grâce à la technologie et par leur utilisation dans la mode et le tourisme, mais aussi une capacité de générer de nouvelles territorialités : de nouvelles fonctions territoriales pour rappeler un concept cher à Deleuze et Guattari. D’autre part, l’idée était que la ville7 n’est pas seulement un dispositif de «se souvenir» et «sauver», garder, un interne/externe, mais aussi un dispositif de filtrage. La ville est toujours un noeud sur le chemin d’un flux, sur un tour. Les villes libres de la Ligue hanséatique au bord du Saint Empire romain, et Deleuze et Guattari (1980) nous le rappellent, encore une fois, sont autant que les mégalopoles américaines des villes-flux et non seulement des villes-accumulation. Elles sont intercepteurs de messages, de biens, de personnes, elles deviennent des textes en reproduisant à l’intérieur ces étapes et ces filtrages.

Mais aujourd’hui que se passe-t-il ? Il se trouve que non seulement les cartes “redoublent” le territoire, mais que la « carte fait le territoire », en jouant sur le vieil adage. Les cartes permettent non seulement l’utilisation du territoire, mais ils évoquent sa mobilisation, une capacité de le réinventer. Les cartes GPS sont «mobilisantes», non seulement en tant que capacité de mise en mouvement, mais comme mobilisation des ressources, affectives, cognitives, pragmatiques.

4. Les objectifs spécifiques et les différentes étapes du projet

L’objectif du projet était celui de partir du territoire de la ville de Bologne, où la méthodologie proposée par ce projet est pensée avec l’intention d’en faire un espace-pilote de l’expérience en recherche. L’idée finale étant de construire un modèle et un «format» de recherche qui, une fois développé et testé, peut ensuite être utilisé dans d’autres situations et contextes urbains.

Le projet de recherche Self-Mapping a été développé, comme on l’a dit, dans une perspective interdisciplinaire, pour créer aussi des liaisons avec d’autres partenaires et d’autres expériences de recherche, dans un contexte local, national et international, même si c’est à partir de racines fortement locales du projet.

4.1. Objectifs spécifiques

L’idée est donc : a) de contribuer au débat sur la question complexe de la dynamique urbaine grâce à la contribution d’experts et l’échange de bonnes pratiques au niveau local, national et international b) de promouvoir une réflexion multi-acteurs, articulée avec les phénomènes de la citoyenneté active et dynamique urbaine à partir de la ville de Bologne c) de promouvoir la participation active des citoyens dans les instances de représentation de l’identité urbaine.

Plus spécifiquement, il s’agit de promouvoir l’utilisation de méthodes novatrices, notamment dans les établissements publics de l’administration de la ville et le territoire, dans l’analyse des espaces urbains tels que la cartographie et l’analyse qualitative en ethnosémiotique. Et à travers cela il s’agit de renforcer et d’élargir le réseau de partenaires impliqués dans le projet, initialement dans le but de valoriser le territoire de Bologne et de sa province, en termes de diffusion des résultats et de promotion du projet au-delà des frontières nationales. Mais il s’agit aussi de promouvoir des activités interdisciplinaires et multi-operatives, en particulier pendant la période de diffusion du projet, s’adressant à la fois à la recherche académique et aux groupes spécifiques, comme des représentants, par exemple, des comités des citoyens et de la société civile. Il s’agit encore de favoriser un projet visant à promouvoir des formes d’analyse en utilisant les outils des sciences sociales, à partir de l’observation des pratiques d’utilisation et des expériences de vie dans la ville : il est bien question de promouvoir une idée novatrice «par le bas» du marketing et de la connaissance du territoire urbain par le repérage des pertinences exprimées par ses propres utilisateurs, par les personnes qui y vivent.

Enfin, sans oublier, le but de fournir matériel et outils aux institutions et aux administrateurs publics en vue de développer de nouvelles formes pour l’étude de la cartographie du territoire. Cette étude ne s’arrête pas à la seule analyse mais doit être capable de fournir des outils innovants et pratiques pour les choix de la planification et des contenus par rapport aux différents moyens mobilisés pour promouvoir ce même territoire.

4.2. Méthodes et résultats : l’intersection des mappings et de la méthode ethno-sémiotique comme élément caractéristique du projet “Self-mapping”

Le projet Self-mapping a été lancé, dans sa première partie, grâce à l’élaboration, la distribution et l’analyse de 150 questionnaires relatifs aux parcours et aux lieux que les personnes, vivant à Bologne, croient être significatifs et pertinents selon leur « idée de la cité ». Ces questionnaires ont été construits comme il suit : ils contiennent des demandes d’informations personnelles (âge, activité, lieu de résidence et de séjour), et on est demandé de fournir au moins 5 endroits de Bologne jugés importants par les personnes pour être associés à autant de mots-clés. Il s’agit effectivement, d’un questionnaire « prétexte » pour commencer à « faire-parler » les personnes de leur propre expérience de perception des lieux de leur ville.

Figure 1

Figure 1

Du point de vue méthodologique, il n’a pas été jugé approprié d’utiliser un échantillon de la population considéré comme statistiquement significatif. C’est la méthode dite «boule de neige» (snowball) qui a été utilisée, en usage dans plusieurs recherches sociologiques et en particulier dans le paradigme de recherche de la soi-disant «Analyse des réseaux sociaux», bien connue aussi comme «Actor Network Theory» (ANT). Orientée dans un sens plus qualitatif, l’idée centrale est de penser qu’un groupe donné ou un rassemblement social peuvent être formés par des composants de base qui ne sont pas des individus mais des réseaux, des relations entre les acteurs.

Dans la pratique, du point de vue méthodologique, la question est d’avoir accès à ces réseaux qui sont de véritables entités sociales produites par des relations que les acteurs ont les uns avec les autres. Il était question de contacter certaines personnes considérées comme potentiellement «intéressantes» en ce qui concerne les informations pertinentes qu’elles pourraient apporter à la recherche en leur demandant de donner une indication aux chercheurs d’autres personnes avec lesquelles pour des raisons de fréquentation, d’affinité, elles étaient en contact etc. Cette approche devrait permettre d’avoir, en effet, un accès non arbitraire à des réseaux de personnes qui se déplacent, par exemple, sur un territoire donné.

Voici que, même dans ce cas, la relation entre la sémiotique et d’autres approches méthodologiques, en parallèle avec l’utilisation de la technologie, semble essentielle. Le rôle de la discipline qui étudie les processus de signification est d’agir, elle aussi, comme un «mapping» au sein de la recherche même en organisant les caractéristiques agissantes, l’émergence des valeurs et les liens dans ces récits (même sous forme de questionnaires).

Note de bas de page 8 :

 Op. cit..

Puisque la ville est, disons-le encore, un texte, ses sous-composants sont maintenant des réseaux inter-actoriels, des actants collectifs pourvus d’éléments narratifs et modaux. Cependant, ils vont progressivement assumer les rôles et les caractéristiques de type figuratif, grâce à leur capacité de manipuler des différentes spatialités. Selon Hammad, les «topoi» de la ville ne sont pas des éléments statiques, mais ils deviennent, dans un récit, des configurations modales8. Et plus généralement, avec Greimas, le langage topologique de la ville est «autre» car il parle et il traduit non seulement des instances sociales, politiques, culturelles, mais, en parlant de celles-ci, il énonce et il définit soi-même. Et les acteurs de ces pratiques langagières se montrent comme à travers des toiles d’araignée (les passages, le parcours). Des toiles que, aujourd’hui, les tracés GPS semblent rendre visibles. Donc, les nouveaux appareils sont aussi des « méta-dispositifs ».

Aussi – autre élément théorique et méthodologique, grâce aux conseils reçus de la part du rapporteur scientifique du projet – il a été décidé de poursuivre avec ce type de méthodologie, en vue d’un travail de recherche qui n’est pas construit sur un échantillon établi a priori, mais, au contraire, en essayant de découvrir et de suivre des comportements, des styles et des habitudes «émergents». D’où une idée qui a été définie comme une sorte de «océanographie urbaine». Il s’agit de suivre des «bouées», dans notre cas, de suivre, grâce aux traceurs GPS, les déplacements et, donc, les comportements et la circulation des personnes (dans le sens de l’écoulement et des «courants» de circulation à l’intérieur de la ville), bien que la pertinence et la cohérence de ces flux seront approfondies par la suite avec des analyses plus précises.

De toutes façons, les questionnaires ont surtout servi, ainsi qu’une collecte d’informations et de données sur les citoyens et les personnes qui ont participé au projet (et sur leurs préférences et styles « d’utilisation » de la ville), pour contacter les personnes et pour leur proposer, à un stade ultérieur, de participer aux explorations urbaines effectives.

Note de bas de page 9 :

 Cf. Marsciani, 2007 ; Del Ninno, 2007.

Cependant, il y a un dernier élément, que nous pensons être la priorité théorique et méthodologique, qui donne un caractère innovant à l’objet de recherche : l’utilisation de la méthodologie ethnosémiotique9. Cette méthode traverse, en effet, l’ethnographie et l’observation participante avec son analyse des concepts, des processus et des systèmes de signification typiques de la sémiotique – qu’il s’agisse des «objets discursifs» comme les questionnaires, des «pratiques», du comportement des personnes dans un espace urbain donné : il s’agit, en simplifiant, d’«observer les observations» (à un deuxième degré et grâce à la méthodologie sémiotique citée ci-dessus.). L’utilisation de cette méthode (qui en même temps donne un profil spécifique à la recherche) semble particulièrement novatrice en raison de son utilisation en parallèle non seulement avec les choix méthodologiques que nous avons mentionnés ci-dessus, mais aussi avec la technologie de géo-référencement et cartographique, qui permet, en effet, de retracer les chemins des personnes qui ont été notre guide dans ces analyses des espaces urbains.

5.Les résultats attendus et les premiers résultats émergents

La phase réelle des explorations urbaines a été ainsi lancée. On a commencé à cartographier les chemins de certains citoyens grâce aux instruments GPS. En les accompagnant dans leur «explorations» en milieu urbain, des interviews, des vidéo et des photographies, certaines ayant été proposées par les citoyens, ont été réalisées ainsi que des observations sur les parcours.

On a plus particulièrement «cartographié» les chemins de près de 30 personnes à Bologne sous forme de cartes lisibles par google maps, aussi bien que les entretiens audio, les photographies ponctuelles des mêmes personnes, jugés, pour des raisons différentes, comme des pistes importantes (les parcours urbains de ces personnes ont été choisis par elles-mêmes).

On a ensuite commencé à travailler d’abord les questionnaires, puis les cartes, y compris des entrevues connexes et les documents audiovisuels, pour aboutir à l’analyse ethnosémiotique de tous ces matériaux. Le début a été consacré à l’approfondissement de certains parcours qui nous semblaient particulièrement pertinents en ce qui concerne le niveau d’originalité dans le choix des sujets étudiés.

Figure 2 : Un exemple de recherche avec une approche différente ; le cas des «cartes émotionnelles» (source : Nold, 2006)

Figure 2 : Un exemple de recherche avec une approche différente ; le cas des «cartes émotionnelles» (source : Nold, 2006)

Ce qui a été construit, à partir de cette phase d’étude et d’analyse, et qui est toujours en cours, est une sorte de typologie, même provisoire, de ces passages urbains. Par rapport aux résultats attendus et aux questionnaires, les éléments qui se dégagent des parcours balisés avec les GPS, tendent à montrer des moments et de différences significatifs. Par exemple, on pourrait s’attendre à ce que la majorité des citoyens marque, dans les questionnaires, ou au cours de voyages géo-référencés, les endroits tout à fait « typiques » et standard, endroits stéréotypés de la ville. Cela non seulement n’a presque jamais eu lieu, mais même dans les cas où il s’est manifesté, cela a été raconté et représenté de manière à fournir des éléments pertinents pour l’analyse. La question de base pour motiver les personnes en particulier dans le chemin de la traversée urbaine a été « où aimeriez-vous amener un ami qui vient d’une autre ville pour faire un tour ? ».  Comme on peut le voir dans les Figures 3 et 4 ci-dessous, il y a une taxinomie des « passages urbains », donc de parcours considérés comme logiquement les «plus significatifs» parce qu’ils ouvrent la possibilité d’une interdéfinition des catégories. En particulier, les chemins sont disposés dans une double approche de «compréhension urbaine» ne dépendant pas nécessairement de l’ampleur et des catégories traditionnelles de la division urbanistique.

On peut dire que, dans certains cas, l’organisation discursive de l’exploration dépendait d’une structuration «thématique» de la ville (de certains types d’espaces, autour de la ville : un exemple de mapping a suivi, certes, la «ville du vintage») ou des «stratégies de passage» dictées par une approche catégorielle (par exemple, l’association de points éloignés entre eux, ou de zones urbaines de la division de rupture de la ville comme dans le cas de la route de San Michele in Bosco, une église historique et un “topos” pour les collines environnantes de Bologne, au centre-ville). Dans d’autres cas, cependant, l’itinéraire a comporté un marquage d’identité dans une zone donnée, comme le suggère la définition du quartier (comme dans le cas des zones traditionnelles de la périphérie de Bologne, telles San Donnino et le quartier populaire « il Pilastro »).

Il faut ajouter que les analyses effectuées font système avec les résultats des questionnaires, mais montrent une approche méthodologique différente, du point de vue de la recherche sociale et de la «perception» de la ville. La méthode que nous avons utilisée et qui continuera à être testée est un hybride entre celles qui sont traditionnellement adoptées par les sciences sociales et les expériences les plus récentes dans les processus participatifs basés sur la «participation communautaire» soi-disant.

Plus que des personnes membres d’un échantillon, les explorateurs que nous avons sollicités et que nous avons escortés à travers les rues de la ville peuvent en fait être considérés comme des “facilitateurs” d’un processus, dans cette analyse de cas, d’autres ré-appropriations du territoire. De cette façon, la discussion sur les «stéréotypes» de l’association d’identité pour les différents domaines de Bologne n’a pas été effectuée directement, mais à partir du résultat d’un processus d’engagement (appelé empowerment) des citoyens et de la réappropriation par conséquent de l’expérience des espaces urbains.

Figure 3 : Parcours de recherche des participants de “Self-mapping” à Bologne, tracés par le GPS.

Figure 3 : Parcours de recherche des participants de “Self-mapping” à Bologne, tracés par le GPS.

Figure 4 : Parcours de recherche des participants de “Self-mapping” à Bologne, tracés par le GPS.

Figure 4 : Parcours de recherche des participants de “Self-mapping” à Bologne, tracés par le GPS.

Pour conclure, il convient de noter que le projet de recherche ici présenté ne concerne que la partie initiale, en particulier celle de la collecte et du traitement primaire des données. L’intention est de poursuivre l’extension et l’approfondissement des travaux de recherche :

Figure 5

Figure 5