Ces drôles de Brésiliens – L’image du Brésilien dans les émissions humoristiques françaises et portugaises Funny Brazilians – Representations of the Brazilian individual in sketch comedy programs in France and Portugal

Vânia Almeida Rego 
et Caio César Christiano 

https://doi.org/10.25965/dire.71

Dans une époque où le politiquement correct domine presque tous les champs de la presse écrite et parlée, le domaine de l’humour reste l’un des rares dans lequel certains préjugés, stéréotypes et idées reçues peuvent librement être transmis. Notre travail porte sur l’analyse du traitement donné aux personnages brésiliens dans des émissions humoristiques diffusées au Portugal (Gato Fedorento et FM Radical) et en France (Les Inconnus et Chico). L’immigration brésilienne se présente comme un phénomène croissant dans les deux pays européens et nous nous intéressons aux représentations du peuple brésilien récurrentes dans différentes émissions de chaque pays et à une comparaison entre les représentations communes aux deux sociétés.

Nowadays when the politically correct prevails in each and every field of the press, both written and spoken, humor appears as a last safe haven in which certain prejudices, stereotypes and preconceived ideas can still be freely expressed. This study analyzes the construction of characters in comedy sketch programs broadcast in Portugal (Gato Fedorento and FM Radical) and France (Les Inconnus and Chico). Brazilian immigration stands as a growing phenomenon in modern European countries and we try and trace recurring representations of the Brazilian character in either country as well as representations shared by both countries.

Sommaire

Texte intégral

I. Cadre théorique

Note de bas de page 1 :

 La traduction a été réalisée par nos soins à partir de la version en langue anglaise.

Dans son étude Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten, Sigmund Freud (1905-1990) reconnaît l’existence de deux types de plaisanteries : celles qui n’ont pas un objectif défini et celles qui en ont un. Selon le père de la psychanalyse, « ce ne sont que les blagues ayant un objectif qui courent le risque de rencontrer des auditeurs qui ne souhaitent pas les écouter »1.

Au premier groupe, appelé les plaisanteries innocentes, appartiennent les blagues dont la forme est souvent plus importante que la substance et qui sont normalement abstraites, l’exemple ultime étant certains jeux de mots.

Le deuxième groupe, nommé par Freud les plaisanteries tendancieuses, se divise encore en deux sous-groupes distincts selon leurs objectifs :

a) les plaisanteries hostiles, dans un but d’agressivité, de satire ou de défense envers une personne ou un groupe de personnes ;

b) les plaisanteries obscènes, ayant pour but d’exposer la réputation d’une personne ou d’un groupe de personnes.

Henri Bergson (1900 : 150) faisait certainement référence à ce deuxième groupe de plaisanteries lorsqu’il affirmait dans son essai « Le rire » que

« Le rire est, avant tout, une correction. Fait pour humilier, il doit donner à la personne qui en est l’objet une impression pénible. La société se venge par lui des libertés qu’on a prises avec elle. Il n’atteindrait pas son but s’il portait la marque de la sympathie et de la bonté. » (Bergson 1900 : 150)

En analysant cette vision, tantôt freudienne, tantôt bergsonienne, du rire, force est de la lier à la théorie de la supériorité développée par Thomas Hobbes dans son Léviathan. Selon Hobbes (1651/2003, p. 59), le rieur se désopile parce qu’il se voit supérieur à l’objet de son rire, qui devient, par conséquent, inférieur au rieur. Son rire est provoqué par la « soudaine gloire (…) causée soit par quelque action soudaine dont on est content, soit par la saisie en l’autre de quelque difformité, en comparaison de laquelle on s’applaudit soudainement soi-même. »

Aucune des quatre vidéos que nous analyserons à la suite de cet article ne s’encadrerait dans le groupe des moqueries innocentes, si nous voulons garder la définition freudienne. L’objet du rire (et donc de l’hostilité, de l’agressivité, de la satire et de l’exposition) est, dans chacun des quatre sketches, l’individu d’origine brésilienne. Le rire (s’il arrive) est provoqué au détriment d’un métèque qui n’agit pas en conformité avec les normes établies par la société des rieurs.

Bien que les vidéos en question aient été diffusées par les télévisions portugaise et française, l’acte de se moquer des étrangers est loin d’être exclusif à une culture quelconque. Dans les blagues des Brésiliens, motif du rire dans les scènes analysées ci-dessous, figurent souvent des personnages portugais et argentins et nous constatons que les blagues françaises où le protagoniste est un représentant du peuple belge ne sont pas rares. L’étranger, étant à priori un individu qui ne partage pas la langue, les coutumes, les valeurs et les croyances du peuple auquel il essaie de s’intégrer, semble être un thème de prédilection pour les moqueries comme le remarque Christie Davies (cité par Billig, 2005, p. 205) que « dans son étude approfondie sur les plaisanteries ethniques, suggère que la plupart des membres d’une culture raconte souvent des blagues ethniques à propos de groupes marginalisés qui parlent avec un accent perceptible et sans prestige. Les Anglais, par exemple, racontent des blagues en simulant l’accent irlandais/hindi/pakistanais ». Le personnage étranger se prête parfaitement au rôle d’objet du rire d’autant plus que l’on retrouve chez lui la plupart des caractéristiques invariantes des objets risibles, comme définies par Smadja (2007 : 120-121) :

  1. le ou les étrangers dans le groupe des rieurs ;

  2. le déviant ou excentrique au sein d’un groupe ;

  3. le pouvoir politique, l’ordre social et toute autorité instituée, toute institution ;

  4. la sexualité

  5. la langue

Nous constatons que les caractéristiques 1, 2 et 5 sont naturellement présentes dans la plupart des plaisanteries sur les étrangers, vu qu’ils constituent une communauté séparée de celle des rieurs et dont les coutumes, socialement acceptées au sein de leurs propres communautés, sont perçues comme extravagantes lorsqu’elles sont regardées de l’extérieur (caractéristiques 1 et 2). Les problèmes d’adaptation ou conformité linguistique de l’individu étranger par rapport à la langue ou à la variété de la langue de la société dans laquelle il veut s’intégrer sont un sujet courant dans les moqueries, comme il a été signalé par Christie Davies (caractéristique 5). Parfois, un certain groupe d’immigrés peut avoir une image stéréotypée qui est intrinsèquement liée à la sexualité. C’est le cas de l’image des Brésiliens en France, où le cliché les associe aux travestis ou au Portugal où ils sont associés à l’homosexualité. Dans ces exemples, la caractéristique 4 est aussi susceptible d’être évoquée lorsque ces individus sont utilisés comme personnages risibles dans des moqueries.

II. Des chiffres sur les Brésiliens

Des données exactes sur l’immigration brésilienne en Europe et notamment en France et au Portugal ne sont pas faciles à trouver et nous doutons de la fiabilité des chiffres existants puisque le plus souvent, ils ne prennent pas en compte le nombre d’immigrés illégaux.

En 2009 le consulat brésilien informait sur la présence d’environ 80 000 Brésiliens en situation légale dans l’Hexagone (« Brésiliens en France », 2009). Cependant, le consul général affirmait aussi que « le Consulat du Brésil n’est pas en mesure de comptabiliser officiellement le nombre de Brésiliens qui arrivent à l’aéroport et dont l’entrée y est barrée. Nous ignorons également le nombre de Brésiliens illégaux expulsés du territoire dernièrement ». Nous savons, pourtant, que la France reste l’une des destinations de prédilection pour les immigrés brésiliens qui forment, par exemple, le plus grand contingent latino-américain dans la légion étrangère.

Du côté portugais, les données sont un peu plus abondantes dû, peut-être, à l’importance de cette population au Portugal de nos jours. En 2002 le Service National de Statistiques portugais (INE) estimait à 60 105 le nombre de Brésiliens en situation légale au pays (Rossi, 2004, p. 7). Quatre ans plus tard, en 2006, ce chiffre avait atteint les 90 000 immigrés légaux selon les chiffres du Consulat brésilien au Portugal (Agence Lusa, 2006), mais, dans une interview pour la presse brésilienne, le Consul conjecturait un total de 250 000 Brésiliens, toutes situations comprises, résidant dans le pays. En 2008, le Service National de Statistiques portugais publia un nouveau rapport (EFE, 2009) attestant la présence de 106 964 citoyens brésiliens en situation légale. Le Portugal ayant une population totale qui ne dépasse pas les 11 millions de personnes, cette parcelle d’individus d’origine brésilienne joue un rôle crucial dans l’actuelle société portugaise pouvant même être considérée comme une minorité ethnique.

Nous ignorons l’existence d’études sur la discrimination des Brésiliens en France. Cependant, au Portugal, certains chercheurs se sont déjà penchés sur le sujet. Selon une enquête réalisée par l’Agence européenne de droits fondamentaux (FRA) en 2009 (ABIN, 2009), 44% des Brésiliens au Portugal auraient subi une forme quelconque de discrimination. Une enquête similaire, réalisée par le Haut-commissariat pour l’Immigration et le Dialogue Interculturel (ACIDI) portugais en 2007, a révélé que 71,9% des personnes interrogées affirmaient avoir vu beaucoup (45,3%) ou certains (26,6%) cas de discrimination de Brésiliens par des citoyens portugais. Dans sons étude, Isabel Ferin (citée par Ratner, 2008) a montré que la presse portugaise présente une tendance à associer les Brésiliens à la criminalité. Sur 2 624 articles publiés dans la presse, 12,5% mentionnaient la nationalité brésilienne comme liée à des actes de criminalité (plus que n’importe qu’elle autre nationalité). Une situation similaire a été rencontrée dans les émissions de télévision où les Brésiliens étaient mentionnés dans 11,8% des 237 reportages analysés. En analysant des articles de presse au Portugal et en Italie, Ribeiro (2008) a conclu que les hommes de nationalité brésilienne qui faisaient la une des journaux dans les deux pays étaient soit des sportifs soit des criminels.

Note de bas de page 2 :

 Récupéré du site <http://humour.cote.azur.fr/liste-blagues-beuveries-et-bars-7_7.htm>.

Ces chiffres nous donnent une idée, quoique assez inexacte, de la situation des immigrés brésiliens au Portugal et en France. Avec une telle présence dans les sociétés des deux pays, il nous semble inévitable que des stéréotypes et idées reçus ne soient pas associés à ces individus. D’ailleurs, des interventions culturelles comme les blagues, moqueries, dessins et sketches humoristiques sont une espèce de registre historique de ces préjugés puisque l’humour échappe à la plupart des interdictions et censures appliquées à d’autres médias. La blague suivante, trouvée sur un site web français2, est assez révélatrice à la fois de l’image des Brésiliens en France et de la liberté d’expression du genre humoristique :

« Deux gars dans un bar:
- Au Brésil, il n’y a que des putes et des footballeurs...
- Euh, je te ferai remarquer que ma femme est brésilienne !
- Ah ?... Et elle joue dans quelle équipe ? »

Par la suite, nous procédons à la présentation de quatre vidéos, exhibées par les télévisions portugaise et française, que nous analyserons en détail plus loin.

III. Présentation des sketches analysés

Sketch 1 : Lala fait le guide touristique
Emission : Fm Radical
Chaîne : Sic Radical
Pays/année : Portugal/2009

Dans cette vidéo, l’humoriste portugais Francisco Menezes pastiche l’accent brésilien et s’habille avec des vêtements très colorés et efféminés. Le personnage créé s’appelle Lala (d’habitude, un surnom féminin) et il est brésilien et homosexuel. Dans la vidéo il présente la ville de Lisbonne aux futurs touristes. Les points d’intérêt relevés sont, surtout, des sites connus pour l’affluence d’homosexuels où les rencontres occasionnelles se déroulent le soir (même si la visite est faite pendant la journée lorsque ces mêmes endroits sont des lieux de passage et de promenade, par exemple le Parc Eduardo VII).

Pour présenter la ville, Lala utilise du jargon lié à la culture homosexuelle. Pendant sa visite de Lisbonne, il apparaît en train de danser et il explique que les homosexuels, ce groupe de gens colorés et élégants par opposition aux Portugais poilus et machos, sont en train de s’emparer de la ville de Lisbonne. Il va même jusqu’à présenter une des grandes figures de la politique portugaise du XVIIIe siècle, le Marquis de Pombal, comme un homosexuel, puisqu’il portait des perruques et des collants.

En dehors du cliché de l’homosexualité (langage et gestes), l’humoriste fait usage aussi du cliché, très répandu au Portugal, selon lequel les Brésiliens auraient une mauvaise prononciation de l’anglais.

Sketch 2 : Feuilleton brésilien
Emission : Gato Fedorento, Diz que é uma espécie de Magazine
Chaîne : RTP1
Pays/année : Portugal/2007

Dans cette vidéo, qui tente de parodier une scène typique de feuilleton (telenovela) brésilien et qui se déroule lors d’un riche petit-déjeuner d’une famille bourgeoise, les comédiens de la troupe Gato Fedorento jouent les rôles des personnages brésiliens tandis que Maitê Proença, une célèbre comédienne brésilienne de feuilletons, joue le rôle d'une Portugaise, ce qui établit une situation d’inversion censée provoquer le rire.

En plus de cette inversion, le sketch se sert d'une nuée de clichés et d'idées reçues sur les Brésiliens très répandus au Portugal : ils portent tous des prénoms rares, voire inexistants, au Portugal (Luzinette, Leandro, Edivaldo) ; ils sont incapables de bien comprendre l’accent portugais ; ils vivent dans un environnement où l’infidélité conjugale et l’homosexualité sont omniprésentes et socialement acceptées.

On remarque, pourtant, qu’il ne s’agit pas seulement de se moquer du Brésilien en tant que peuple, mais de l’image du Brésilien telle qu’elle est présentée dans les feuilletons qui cartonnent au Portugal depuis plus de 30 ans. Le sketch évoque sans cesse le genre dans ses éléments les plus récurrents, comme l’exagération du jeu des acteurs, les personnages richissimes ayant même un majordome ou les constants « twists » dans le scénario, à la limite du vraisemblable.

Sketch 3 : Journal télévisé, Brésil
Emission : Les inconnus
Chaîne : Canal +
Pays/année : France/1990

A la fin des années 1980, la troupe de comédiens de l’émission Les Inconnus produisait une série de sketches d’humour où il était question d’imaginer un journal télévisé typique dans des différents pays et régions. Quant il s’agit du journal télévisé brésilien, encore une fois, une multitude de clichés défile à l’écran et c’est bien l’image du Brésilien qu’a le Français moyen – soit par rapport au football, soit par rapport à la sexualité, notamment, la transsexualité – qui ressort. Le journal télévisé débute aux accords de la samba et ne donne que des informations sur le football. Nous devinons vite l’origine des interlocuteurs aussi bien par leur accent caractéristique que par leurs noms de famille doubles, toujours précédés de la préposition « de ».

Par rapport à la question de la transsexualité nous observons que lorsque l’invitée – une athlète de football – parle, elle le fait avec une voix masculine. Dès lors, la féminité de l’invitée est soupçonnée et sa transsexualité est confirmée dès qu’elle affirme faire partie du Bois de Boulogne football club ou quand elle dit que sa co-équipière s’appelle Roberto et lorsque nous voyons une photo d’un match féminin où les femmes ont des corps d’homme et se protègent notamment au niveau des testicules lors d’un coup franc. À la fin du journal télévisé le présentateur se lève et on peut voir qu’il ne porte pas de pantalons et qu’il est habillé en sous-vêtements de femme.

Sketch 4 : In bedtch with Chico
Emission : Chico
Chaîne : Canal +
Pays/année : France/2002

Apparu dans une publicité de téléphonie mobile, le personnage de Chico, joué par le comédien Patrick Mille, eut un succès tel au début des années 2000 qu’il a eu droit à sa propre émission.

Dans ce sketch, nous voyons le personnage brésilien Chico en train de partager son lit avec un inconnu qui se révèle être le footballeur Ronaldo. La vidéo montre, encore une fois, les stéréotypes français par rapport à la sexualité libérée et l’homosexualité ouverte des Brésiliens.

L’accent des personnages brésiliens est créé par une prosodie proche de celle des Brésiliens et le remplacement systématique par les phonèmes [s] et [ʃ].

Nous pouvons trouver encore une autre idée reçue sur les habitants du pays géant de l’Amérique du Sud dans une certaine paresse et lassitude ici associées à Ronaldo, qui n’aime pas s’entrainer et passe sa vie à faire des sorties nocturnes et des soirées avec des filles.

IV. Le stéréotype brésilien

En analysant les vidéos, il est tout à fait possible de dégager certaines caractéristiques du stéréotype brésilien qui existe au Portugal et en France mais aussi de les croiser et arriver aux caractéristiques communes aux deux pays.

Tout d’abord, l’omniprésence de l’homosexualité – mais aussi de la transsexualité – est frappante. Les quatre vidéos évoquent des comportements homosexuels des personnages brésiliens. Du point de vue de notre analyse, il n’est pas question de connaître la parcelle de la population brésilienne qui se déclare homosexuelle ou la proportion d’homosexuels brésiliens qui partent en Europe, ce qui pourrait expliquer cette association de l’homosexualité aux individus brésiliens. Ce qui nous intéresse c’est que la simple mention de ces comportements est, dans ces sketches, censée provoquer le rire du public.

Les invariants du risible, que nous avons évoqué plus haut, aident, en partie, à expliquer cette utilisation. En partant du principe que ces émissions sont ciblées sur un public majoritairement hétérosexuel, l’individu homosexuel est, à la fois, un étranger et un déviant du groupe des rieurs. Il nous semble nécessaire de rappeler qu’il n’existe pas des invariants du facétieux, i.e. il n’y a pas de thème qui soit invariablement drôle. Comme la beauté qui, selon le proverbe, est dans les yeux de celui qui regarde, le comique dépend exclusivement de son public pour l’être. Ce n’est que grâce à une hétérogénéité, au moins présumée, des téléspectateurs que certains sujets sont choisis comme étant plus ou moins drôles.

En plus de l’homosexualité, des attitudes qui pourraient être considérées comme des « déviations » sexuelles sont un deuxième thème fréquent dans ces sketches humoristiques. Nous les retrouvons chez le guide touristique qui voit des figures phalliques dans les sculptures abstraites chez la famille brésilienne de mœurs légères, chez l’animateur qui présente son journal télévisé en sous-vêtements de femme et sans pantalon ou chez le Brésilien qui n’a aucune idée de ce qu’il retrouvera sous les draps en se réveillant le matin. Cette thématique semble coller à la peau des Brésiliens, dû, peut-être, aux images véhiculées pendant le carnaval d’hommes et de femmes demi-nus qui dansent dans la rue. Des informations susceptibles de contredire cette image restent moins divulguées au niveau mondial, comme, par exemple, le fait que le « topless » soit interdit dans les plages brésiliennes. Cette association des Brésiliens à la promiscuité et à la liberté comportementale fait de l’aspect sexuel l’autre des invariants présents dans la totalité des émissions.

Le troisième trait commun aux sketches portugais et français correspond à la langue parlée par les personnages brésiliens. Dans les cas des sketches français, on remarque que le parler des personnages se réduit à leur accent, sans fautes de concordance ou de vocabulaire, si communes dans le parler des vrais immigrés. Dans le cas portugais, les acteurs donnent leur meilleur pour mimer l’accent brésilien, qui s’éloigne assez du portugais européen pour que certains linguistes les considèrent comme deux langues différentes. Le langage étant aussi l’une des caractéristiques invariables de l’objet risible, il n’est pas étonnant qu’il soit utilisé dans des sketches où les personnages principaux sont des étrangers.

Certains aspects de la caractérisation des personnages brésiliens sont présents dans les sketches d’un pays et non dans l’autre. Nous avons choisi deux particularités inhérentes aux vidéos françaises qui sont absentes dans les vidéos portugaises. Tout d’abord, l’aspect physique : les Brésiliens, vus par les Français, sont toujours très bronzés et ils ont les cheveux bouclés. Deuxièmement, la passion pour le football : la politique, les arts, les faits-divers, rien n’a de l’importance pour ces Brésiliens ; le football est le seul sujet d’intérêt pour cette nation tropicale.

Il y a des raisons pour que ces repères ne fassent pas partie des sketches portugais. Un stéréotype comique ne peut se construire qu’à travers ses différences par rapport à la population des rieurs. Une grande partie des Brésiliens possédant une ascendance portugaise, il n’y aurait pas de sens d’illustrer un individu d’une ancienne colonie avec des traits trop différents de la population locale. De même, le Portugal étant aussi une nation fanatique du football, le rire ne serait pas provoqué en montrant des personnages obsédés du sport, i.e. des personnages qui se comportent exactement comme les locaux. Contrairement à l’affirmation du proverbe, quant il s’agit du rire, au pays des aveugles, le borgne n’est pas roi, mais celui de qui on peut rire.

V. Des préjugés tolérés

A première vue, rire d’un personnage étranger ou homosexuel pourrait paraître une attitude contraire au courant actuel du politiquement correct. Pourtant, il ne faut pas oublier que le rire, comme la gestuelle, est socialement codé et, quoique de façon inconsciente, contribue à l’intégration dans une société quelconque.

Chaque collectivité élit, parmi ses préjugés, ceux qui sont susceptibles de provoquer le rire et ceux qui doivent rester interdits, même à l’humour. Dans ce sens, le plus grand succès de l’histoire du cinéma humoristique français, le film Bienvenue chez les Ch’tis, est assez révélateur. Dans l’œuvre, l’hilarité est censée venir de l’accent même des personnages, ou plutôt de la divergence entre le parler des habitants du Nord-Pas-de-Calais par rapport à un prétendu français standard.

Dans une telle société, rire de l’accent d’autrui, c'est-à-dire faire preuve d’un préjugé linguistique, serait moins grave qu’ironiser sur certaines caractéristiques d’une ethnie ou d’une religion. La première action est socialement acceptée, tandis que la deuxième constitue un délit passible même de sanction par la loi.

Les éléments utilisés dans les sketches ici analysés dénoncent une série de préjugés des sociétés française et portugaise – homophobie, xénophobie, préjugé linguistique – qui sont certainement aussi présents dans la quasi-totalité du monde actuel. Le fait que ces partis pris soient utilisés dans des comédies, contrairement à d’autres qui difficilement provoqueraient le rire – antisémitisme, racisme, etc. – révèle que la tolérance envers certaines convictions varie selon chaque société et son époque.

L’humour peut-il exister sans les préjugés et l’humiliation d’autrui ? Voici une question qui dépasse largement les prétentions de cet article mais sur laquelle il serait intéressant de réfléchir dans le cadre de la globalisation et de l’intercompréhension entre les différents peuples du monde.